le cheval et le loup

Publié le par L'Hocine M.Anis

Le Cheval et le Loup

 


Un certain Loup, dans la saison
Que les tièdes Zéphirs ont l’herbe rajeunie,
Et que les Animaux quittent tous la maison
Pour s’en aller chercher leur vie ;
5Un Loup, dis-je, au sortir des rigueurs de l’Hiver,
Aperçut un Cheval qu’on avoit mis au vert.
Je laisse à penser quelle joie.
« Bonne chasse, dit-il, qui l’aurait à son croc.
Eh ! que n’es-tu Mouton ! car tu me serais hoc :
10Au lieu qu’il faut ruser pour avoir cette proie.
Rusons donc. » Ainsi dit, il vient à pas comptés,
Se dit Écolier d’Hippocrate :
Qu’il connaît les vertus et les propriétés
De tous les Simples de ces prés ;
15Qu’il sait guérir, sans qu’il se flatte,
Toutes sortes de maux. Si Dom Coursier voulait
Ne point celer sa maladie,
Lui Loup gratis le guérirait.
Car le voir en cette prairie
20Paître ainsi sans être lié
Témoignait quelque mal selon la Médecine.
« J’ai, dit la Bête chevaline,
Une apostume sous le pied.
— Mon fils, dit le Docteur, il n’est point de partie
25Susceptible de tant de maux.
J’ai l’honneur de servir Nosseigneurs les Chevaux,
Et fais aussi la Chirurgie. »
Mon galant ne songeait qu’à bien prendre son temps
Afin de happer son malade.
30L’autre, qui s’en doutait lui lâche une ruade
Qui vous lui met en marmelade
Les mandibules et les dents.
« C’est bien fait, dit le Loup en soi-même fort triste ;
Chacun à son métier doit toujours s’attacher ;
35Tu veux faire ici l’Arboriste,
Et ne fus jamais que Boucher. »

 

Jean de la Fontaine

Publié dans livres

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