Moby Dick
Moby Dick
Cette fois, nous étions dans le Pacifique. Nous avions passé les iles Baschi. Le capitaine Achab marcha vers le forgeron qui travaillait prés des fourneaux à reforger un harpon abimé. Il le regarda faire longuement.
« Tu travailles bien, forgeron ! Finit-il par dire. Mais laisses ce harpon, j’ai du travail pour toi ! Je veux un harpon plus solide que tous ceux que nous avons, un harpon qui se plantera dans le cachalot si profondément qu’il sera difficile de l’en arracher que sa propre nageoire ! Et voici de quoi faire ce harpon ! »
Renversant le sac, il en sortit une grande quantité de clous à tête carrée. Le vieil homme se mit à l’ouvrage sans mot dire. Il obtint douze tiges d’acier qu’il tordit ensemble. Mais Achab voulut terminer lui-même le travail.
« Ce harpon est pour la baleine blanche, n’est ce pas, capitaine ? » dit tout à coup le forgeron en relevant la tête.
Achab fit un signe de tête affirmatif. Puis il tira de sa poche une boite de bois.
« Voici mes rasoirs ! Ils sont de meilleur acier qui existe ! Prends, et forge moi des barbes aussi tranchantes que mes rasoirs ! »
L’homme chauffa les rasoirs, les martela, les fixa en forme de flèche aigue. Il allait les tremper une dernière fois dans le baquet d’eau lorsque Achab l’arrêta d’un geste avec un sombre sourire : « Je veux que ce harpon reçoive vraiment une trempe mortelle ! Eh ! Vous Quequeg, Tashtego, Daggoo ! Me donneriez-vous un peu de votre sang pour tremper ce harpon ? » S’écria-t-il en brandissant l’arme fumante.
Herman Melville