la grenouille et le rat

Publié le par L'Hocine M.Anis

La Grenouille et le Rat

 

Tel, comme dit Merlin, cuide engeigner autrui,
Qui souvent s’engeigne soi-même.
J’ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd’hui :
Il m’a toujours semblé d’une énergie extrême.
5Mais afin d’en venir au dessein que j’ai pris,
Un Rat plein d’embonpoint, gras, et des mieux nourris,
Et qui ne connaissait l’Avent ni le Carême,
Sur le bord d’un Marais égayait ses esprits.
Une Grenouille approche, et lui dit en sa langue :
10« Venez me voir chez moi, je vous ferai festin. »
Messire Rat promit soudain :
Il n’était pas besoin de plus longue harangue.
Elle allégua pourtant les délices du bain,
La curiosité, le plaisir du voyage,
15Cent raretés à voir le long du Marécage :
Un jour il conterait à ses petits-enfants
La beauté de ces lieux, les mœurs des Habitants,
Et le gouvernement de la chose publique
Aquatique.
20Un point sans plus tenait le galant empêché
Il nageait quelque peu ; mais il fallait de l’aide.
La Grenouille à cela trouve un très bon remède :
Le Rat fut à son pied par la patte attaché ;
Un brin de jonc en fit l’affaire.
25Dans le Marais entrés, notre bonne Commère
S’efforce de tirer son Hôte au fond de l’eau,
Contre le droit des Gens, contre la foi jurée ;
Prétend qu’elle en fera gorge chaude et curée ;
(C’était à son avis un excellent morceau.)
30Déjà dans son esprit la Galande le croque.
Il atteste les Dieux ; la Perfide s’en moque.
Il résiste ; elle tire. En ce combat nouveau,
Un Milan qui dans l’air planait, faisait la ronde,
Voit d’en haut le pauvret se débattant sur l’onde :
35Il fond dessus, l’enlève, et par même moyen,
La Grenouille et le lien.
Tout en fut ; tant et si bien
Que de cette double proie
L’Oiseau se donne au cœur joie,
40Ayant de cette façon
À souper chair et poisson.

La ruse la mieux ourdie
Peut nuire à son inventeur ;
Et souvent la Perfidie
45Retourne sur son auteur.

 

Jean de la Fontaine

Publié dans livres

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