la mouche et la fourmi

Publié le par L'Hocine M.Anis

La Mouche et la Fourmi

 

La Mouche et la Fourmi contestaient de leur prix.
             « Ô Jupiter ! dit la première,
 Faut-il que l’amour-propre aveugle les esprits
             D’une si terrible manière,
5 Qu’un vil et rampant Animal
 À la fille de l’air ose se dire égal !
 Je hante les Palais ; je m’assieds à ta table :
 Si l’on t’immole un bœuf, j’en goûte devant toi ;
 Pendant que celle-ci chétive et misérable
10 Vit trois jours d’un fétu qu’elle a traîné chez soi.
             Mais ma Mignonne, dites-moi,
 Vous campez-vous jamais sur la tête d’un Roi,
             D’un Empereur, ou d’une Belle ?
Je le fais ; et je baise un beau sein quand je veux :
15Je me joue entre des cheveux ;
 Je rehausse d’un teint la blancheur naturelle ;
 Et la dernière main que met à sa beauté
             Une femme allant en conquête,
 C’est un ajustement des Mouches emprunté.
20 Puis allez-moi rompre la tête
             De vos greniers. ─ Avez-vous dit ?
             Lui répliqua la ménagère
 Vous hantez les Palais ; mais on vous y maudit.
             Et quant à goûter la première
25 De ce qu’on sert devant les Dieux,
             Croyez-vous qu’il en vaille mieux ?
 Si vous entrez partout, aussi font les profanes.
 Sur la tête des Rois et sur celle des Ânes
 Vous allez vous planter ; je n’en disconviens pas ;
30 Et je sais que d’un prompt trépas
 Cette importunité bien souvent est punie.
 Certain ajustement, dites-vous, rend jolie.
 J’en conviens : il est noir ainsi que vous et moi.
 Je veux qu’il ait nom Mouche, est-ce un sujet pourquoi
35 Vous fassiez sonner vos mérites ?
 Nomme-t-on pas aussi Mouches les Parasites ?
 Cessez donc de tenir un langage si vain :
             N’ayez plus ces hautes pensées.
             Les Mouches de Cour sont chassées ;
40 Les Mouchards sont pendus : et vous mourrez de faim,
             De froid, de langueur, de misère,
 Quand Phébus régnera sur un autre Hémisphère.
             Alors je jouirai du fruit de mes travaux :
             Je n’irai, par monts ni par vaux,
45 M’exposer au vent, à la pluie ;
             Je vivrai sans mélancolie.
 Le soin que j’aurai pris, de soin m’exemptera.
             Je vous enseignerai par là
 Ce que c’est qu’une fausse ou véritable gloire.
50 Adieu ; je perds le temps : laissez-moi travailler.
         Ni mon grenier, ni mon armoire
             Ne se remplit à babiller. »

 

Jean de la Fontaine

Publié dans livres

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