Qui sait ?
Qui sait ? (extrait)
J’ai toujours été un solitaire, un rêveur, une sorte de philosophe isolé, bienveillant, content de peu, sans aigreur contre les hommes et sans rancune contre le ciel. J’ai vécu seul, sans cesse, par suite d’une sorte de gène qui s’insinue en moi la présence des autres. Comment expliquer cela ? Je ne le pourrais. Je ne refuse pas de voir le monde, de causer, de dîner avec des amis, mais lorsque je les sens depuis longtemps près de moi, même les plus familiers, ils me lassent, me fatigue, m’énervent, et j’éprouve une envie grandissante, harcelante, de les voir partir ou de m’en aller, d’être seul.
Cette envie est plus qu’un besoin, c’est une nécessité irrésistible. Et si la présence des gens avec qui je me trouve continuait, si je devais, non pas écouter, mais entendre longtemps encore leurs conversations, il m’arriverait, sans doute un accident. Lequel ? Ah ! qui sait ? Peut-être une simple syncope ? Oui ! probablement !
Guy De MAUPASSANT