Phèdre

Publié le par L'Hocine M.Anis

Phèdre (extrait)

 

Je vois que la raison cède à la violence

Puisque j’ai commencé par rompre le silence

Madame, il faut poursuivre : il faut vous informer

D’un secret que mon cœur ne peut plus renfermer

Vous voyez devant vous un prince déplorable

D’un téméraire orgueil exemple mémorable

Moi qui contre l’amour fièrement révolté

Aux fers de ses captifs ait longtemps insulté

Qui des faibles mortels déplorant les naufrages

Pensais toujours du bord contempler les orages

Asservi maintenant sous la commune loi

Par quel trouble me vois-je emporté loin de moi ?

Un moment a vaincu mon audace imprudente

Cette âme si superbe est enfin dépendante

Depuis prés de six mois, honteux, désespéré,

Portant partout le trait dont je suis déchiré,

Contre vous, contre moi, vainement je m’éprouve :

Présente, je vous fuis ; absente, je vous trouve ;

Dans le fond des forêts votre image me suit ;

La lumière du jour, l’ombre de la nuit,

Tout retrace à mes yeux les charmes que j’évite ;

Tout vous livre à l’envi le rebelle Hippolyte

Moi-même, pour tout fruit de mes soins superflus,

Maintenant je me cherche, et ne me trouve plus

Mon arc, mes javelots, mon char, tout m’importune ;

Je ne me souviens plus des leçons de Neptune,

Mes seuls gémissements font retenir les bois,

Et mes coursiers oisifs ont oublié ma voix

Peut être le récit d’un amour si sauvage

Vous fait, en m’écoutant, rougir de votre ouvrage

D’un cœur qui s’offre à vous quel farouche entretien !

Quel étrange captif pour un si beau lien !

Mais l’offrande à vos yeux en doit être plus chère

Songez que je vous parle une langue étrangère

Et ne rejetez pas des vœux mal exprimés,

Qu’Hippolyte sans vous n’aurait jamais formés

 

Jean Racine

 

 

Publié dans théatre

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