Iphigénie
Iphigénie
Je me flattais sans cesse
Qu’un silence éternel cacherait ma faiblesse ;
Mais mon cœur trop pressé m’arrache ce discours,
Il te parle une fois pour se taire toujours.
Ne me demande point sur quel espoir fondé
De ce fatal amour je me vis possédée
Je n’en accuse point quelques feintes douleurs
Dont je crus voir Achille honorer mes malheurs :
Le ciel s’est fait, sans doute, une joie inhumaine
A rassembler sur moi tous les traits de sa haine
Rappellerai-je encore le souvenir affreux
Du jour qui dans les fers nous jeta toutes deux ?
Dans les cruelles mains par qui je fus ravie
Je demeurai longtemps sans lumière et sans vie :
Enfin, mes tristes yeux cherchèrent la clarté ;
Et, me voyant presser d’un bras ensanglanté,
Je frémissais, Doris, et d’un vainqueur sauvage
J’entrai dans son vaisseau, détestant sa fureur,
Et toujours détournant ma vue avec horreur
Je le vis : son aspect n’a rien de farouche ; je sentis le reproche expirer dans ma bouche ;
Je sentis contre moi mon cœur se déclarer ;
J’oubliai ma colère, et ne sus que pleurer ;
Je me laissai conduire à cet aimable guide
Je l’aimai à Lesbos, et je l’aime en Aulide
Jean Racine